02/01/2023
Je voulais que ce livre traite autant des ouvertures que des fins de partie, je voulais que ce livre me raconte, m'invente, me recrée, m'établisse et me prolonge. Je voulais dire ma jeunesse et mon adolescence dans ce livre, je voulais débobiner, depuis ses origines, mes relations avec le jeu d'échecs, je voulais faire du jeu d'échecs le fil d'Ariane de ce livre et remonter ce fil jusqu'aux temps les plus reculés de mon enfance, je voulais qu'il y ait soixante-quatre chapitres dans ce livre, comme les soixante-quatre cases d'un échiquier.
J.-P. T.
« Tellement proches. On est si proches - tellement rapprochés qu'on peut plus respirer - j'étouffe - on étouffe à force d'être si proches. »
Proches sera créée le 12 septembre 2023 à La Colline à Paris dans une mise en scène de l'auteur. Du 12 septembre au 8 octobre 2023 à La Colline puis en tournée au printemps 2024 et à l'automne 2024 (Aix-en-Provence, Cherbourg, Toulouse, Colmar, Grenoble...).
Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s'embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s'aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s'aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d'un désir éphémère, l'éclair d'un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui.
« - Une dernière chose, je ne jouerai qu'une seule partie. Veuillez prévenir ces messieurs à l'avance pour que cela ne paraisse pas discourtois après coup. Cette partie doit solder les comptes, et rien d'autre. Un trait final, pas un nouveau départ. »
Connue, en France, sous le titre Le Joueur d'échecs, la Schachnovelle est le dernier texte qu'ait écrit Stefan Zweig avant de se donner la mort à Petrópolis en 1942.
Jean-Philippe Toussaint a réalisé cette nouvelle traduction pendant l'écriture de son dernier livre, L'Échiquier, qui paraît simultanément aux Éditions de Minuit.
Comment la structure d'horizon propre à la phénoménologie de Husserl peut-elle aider notre lecture de la poésie ? Quel est le sens de la présence centrale du cri dans l'oeuvre de Bonnefoy ? Pourquoi la parole amoureuse peut-elle autant intégrer l'ensemble du monde pour louer la personne aimée que l'oublier selon le projet d'une fusion où l'érotique est pensée comme expérience de l'absolu ? En quoi la parole impossible dont témoignent les récits des mystiques est-elle une tension vers une parole retrouvée ? Quel peut être le rôle des pronoms « je », « tu », « nous » dans l'écriture des sermons de saint Bernard sur le Cantique ? Quelle est la dimension vocale de la parole encore présente dans la solitude de l'acte de lire ?
Ces questions où parole et poésie se croisent dans la louange, la prière, la parole érotique ou la célébration de la gloire du monde sont posées en interrogeant notamment les oeuvres de Ronsard, Lamartine, Baudelaire, Hugo, Rilke, Valéry, Claudel, Michaux ou encore André du Bouchet, Pierre Reverdy et Luis Mizón. C'est l'aventure poétique du souffle de la voix humaine que médite Jean-Louis Chrétien dans les dix chapitres de ce livre.
La voix est une énigme. Même tonitruante, elle est cette sonorité fragile qui s'élève depuis nos cavités intérieures, depuis les vides ou les creux qui nous habitent.
Pour tenter d'en sonder l'énigme, nous nous sommes tourné.e.s vers les accidents de la voix. Lorsqu'elle se détache du corps auquel elle semblait appartenir. Lorsqu'elle se désynchronise d'avec ce qu'elle était censée dire. Lorsqu'elle verse dans le sans-mesure du chuchotement ou de la vocifération.
Nous nous sommes donc attardé.e.s dans les marges de la voix. Nous avons ausculté les résonances de la caverne de Platon et de l'antre où complotent les sorcières de Purcell. Nous avons écouté les ventriloques, dans la Bible comme au cinéma. Nous avons prêté l'oreille aux bégaiements de Ghérasim Luca ou de MC Solaar, aux murmures de Carmelo Bene, aux cris silencieux chez Hitchcock et Dante, aux hurlements saccadés de Bill Viola.
Notre exploration de ces altervocalités reconduit chaque fois vers une hypothèse : c'est lorsque la voix déraille que l'on commence à entendre ce qui la rend possible. (L. O. et P. Sz.)
Jean Seghers est inquiet : sa station-service a été déclarée en faillite. Son veilleur de nuit-mécanicien lui réclame ses indemnités et, de surcroît, il craint que sa femme entretienne une liaison avec le président du tribunal de commerce.
Alors, il va employer les grands moyens.
« Yves Ravey échafaude avec Adultère un roman noir fulgurant. Comme à son habitude, c'est angoissant, concis et totalement inattendu. » (Sylvie Tanette, Les Inrockuptibles)
« On peut lire toute l'oeuvre d'Yves Ravey comme une cartographie romanesque, à la fois drôle et glaçante, de la médiocrité humaine. Dans le cas de Jean Seghers, confronté à une situation de crise généralisée, celle-ci va l'amener à se transformer en salaud. Les phrases courtes et sèches d'Adultère témoignent de cette évolution, ainsi que du calme avec lequel Seghers l'accepte, et met en place sa stratégie meurtrière pour essayer de se tirer d'affaire financièrement, et peut-être récupérer sa femme. On hésite à employer le mot "grinçant", tant il est devenu un cliché, mais le dix-septième roman d'Yves Ravey donne à cet adjectif une incarnation soufflante. » (Raphaëlle Leyris, Le Monde)
Ce roman a initialement paru en 2021.
Il m'a été confié et j'ai accepté de le garder en observation. On aura estimé à juste titre que j'étais le seul qualifié pour mener à bien cette étude. Il est maintenant là, devant moi, étrangement mobile, brûlant d'on ne sait quelle ardeur.
Curieux sujet, décidément. Je vais prendre bien soin de lui.
Affects, émotions ou passions forment quelque chose comme nos indéfectibles milieux de vie : des atmosphères en mouvement. C'est l'air que nous respirons, que nous traversons, qui nous traverse de ses turbulences. Ainsi marchons-nous dans l'affect, de jour comme de nuit. L'aube même de la littérature européenne ne fut d'abord que parole donnée à l'affect : lorsque Homère commença l'Iliade sur la nécessité de chanter une émotion de colère. On y voyait Achille, accablé par la mort de son ami, pris dans un « noir nuage de douleur » : s'allongeant alors dans la cendre et la poussière, comme pour se fondre dans le brouillard de peine qui venait juste de l'envahir.
Ce livre est une traversée ou, plutôt, un vagabondage dans la multiplicité des « faits d'affects ». Dans leurs théories, pour lesquelles il aura fallu convoquer de l'anthropologie et de la phénoménologie, de la psychanalyse et de l'esthétique... Il y fallait aussi des images (de Caravage et Friedrich à Rodin et Lucio Fontana) puisque les affects s'y « précipitent » souvent. Non moins que des poèmes (de Novalis et Leopardi à Marina Tsvétaïeva et Henri Michaux) qui savent en rephraser l'intensité, et des chroniques (de Saint-Simon et Marcel Proust à Clarice Lispector) qui savent en raconter le devenir. Enfin il y fallait des gestes puisque nos peines et nos désirs s'expriment sans fin dans nos corps, nos visages ou nos mains par exemple.
Affects, émotions, passions : forces ou faiblesses ? Spinoza, Nietzsche et Freud - qui osa écrire que « l'état émotif est toujours justifié » - en ont établi la puissance en dépit de l'impouvoir même où nous nous trouvons lorsque nous sommes émus. Mais de quel genre de puissance s'agit-il ? Comment se déploie-t-elle ? Où situer sa fécondité ? Quelles transformations produit-elle dans l'économie de nos sens (sensibilité) comme dans l'organisation même du sens (signifiance) ?
Qu'espérer en ce lieu où, à chaque coin de rue, on vous promet l'enfer ?
Le dramaturge russe Alexandre Ostrovski (1823-1886) a écrit près de cinquante pièces de théâtre. L'Orage (1859) est la plus célèbre en France. Cette adaptation par Laurent Mauvignier transpose la pièce du XIXe au XXIe siècle, pour une mise en scène de Denis Podalydès.
« Alors, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
Avec la lumière du soleil qui maintenant frappait le sol et les meubles de vieux bois marqueté, avec l'ombre des croisillons aux fenêtres qui dessinait comme un quadrillage penché sur l'épaisse moquette, elle a fi ni par dire qu'elle était revenue tout récemment, que pour l'instant elle logeait chez son père et qu'elle avait déposé un dossier pour un logement mais que peut-être il pourrait appuyer sa demande et que voilà, ce serait formidable pour elle si... »
Tanguy Viel montre parfaitement les mécanismes de la domination, où la violence physique joue un rôle bien moindre que des phénomènes plus troubles d'emprise psychologique, de fascination sociale ou d'illusion de maîtrise du jeu. (Camille Laurens, Le Monde)
Dans une très belle langue, qui semble donner de l'extraordinaire à un drame ordinaire et du lustre à une affligeante affaire de moeurs, Tanguy Viel monte et démonte sous nos yeux, écrou après écrou, la machine à broyer les humbles et à affranchir les puissants, ordures comprises. (Jérôme Garcin, L'Obs)
Ce roman a paru en 2021.
J'entends ma mère qui entre dans la chambre. Ses pas sont lents. Elle marche sur la pointe des pieds. Elle effleure les barreaux de l'échelle, suit le bord de la couchette du haut jusqu'au milieu du matelas. Je me terre dans l'angle. Elle grimpe sur le rebord du lit, plie son coude autour de la barrière, elle se tient, le corps tendu dans le vide. Je sens ses yeux, ils scrutent les reliefs à travers le garde-corps ajouré. Elle tâte la couette à ma recherche. Quand elle me trouve, ses doigts se referment, ils tentent d'identifier leur prise. Une masse de cheveux, une fesse, un talon. Sa main s'arrête sur mon épaule. Elle reste là, sans bouger.
Pour Le Corps lesbien j'étais face à la nécessité d'écrire un livre entièrement lesbien dans sa thématique, son vocabulaire et sa texture, un livre lesbien du début à la fin, de la première à la quatrième de couverture. Je me trouvais par conséquent devant une double béance : celle de la page blanche que doivent affronter tous les écrivains lorsqu'ils commencent un livre, et une autre de nature différente : il n'existait aucun livre de ce genre. Jamais je n'ai relevé un défi aussi radical. Pouvais-je tenter cela ? En étais-je seulement capable ? Et quel serait alors ce livre ? J'ai gardé le manuscrit six mois dans un tiroir avant de le donner à mon éditeur.
M. W.
Ce livre a paru aux Editions de Minuit en 1973.
On s'obstine à porter aux nues les auteurs de chefs-d'oeuvre, sans prendre la mesure des dégâts qu'ils provoquent. Ils relèguent en effet d'autres créateurs dans l'obscurité, imposent des canons arbitraires à notre sensibilité et déforment notre regard sur le passé. Ce livre propose d'étudier les mondes alternatifs où ils n'existent pas et de mettre ainsi en valeur toutes les oeuvres dont ils nous ont injustement privés.
La carrière de Gérard Fulmard n'a pas assez retenu l'attention du public. Peut-être était-il temps qu'on en dresse les grandes lignes. Après des expériences diverses et peu couronnées de succès, Fulmard s'est retrouvé enrôlé au titre d'homme de main dans un parti politique mineur où s'aiguisent, comme partout, les complots et les passions. Autant dire qu'il a mis les pieds dans un drame. Et croire, comme il l'a fait, qu'il est tombé là par hasard, c'est oublier que le hasard est souvent l'ignorance des causes.
« Sur le chemin de Gérard Fulmard, établi comme détective privé et bientôt devenu l'homme de main d'une petite formation politique déchirée par les rivalités de pouvoir, le romancier place des politiciens sans convictions ni scrupules, des femmes plus ou moins fatales, un psychiatre douteux, des menteurs et manipulateurs de tous poils, deux frères coréens passionnés par le jeu de go, et même un requin vorace... À coups de détails minutieusement choisis (vêtements, technologies...), il dessine autour de lui notre époque, et le promène dans un paysage parisien si prégnant et rigoureusement tracé qu'il est bien plus qu'un décor, plutôt une matrice - s'autorisant néanmoins des excursions hors du périphérique, jusqu'à la lointaine Indonésie... Le résultat est virtuose, laconique et précis, comme fi guré de la main d'un maître de la ligne claire, semé de références et irrigué de cet humour métaphysique échenozien qui est bien plus que de l'ironie - une mélancolie qui ne dit pas son nom. » (Nathalie Crom, Télérama)
Ce roman a paru initialement en 2020.
Dans un menu enfant, on trouve un burger bien emballé, des frites, une boisson, des sauces, un jouet, le rêve. Et puis, quelques années plus tard, on prépare les commandes au drive, on passe le chiffon sur les tables, on obéit aux manageurs : on travaille au fastfood.
En deux récits alternés, la narratrice d'En salle raconte cet écart. D'un côté, une enfance marquée par la figure d'un père ouvrier. De l'autre, ses vingt ans dans un fastfood, où elle rencontre la répétition des gestes, le corps mis à l'épreuve, le vide, l'aliénation.
Après avoir respiré des vapeurs nocives dans l'imprimerie où il travaille, monsieur Carossa tombe malade. Par crainte d'un licenciement, il demande au médecin le silence. Et puis, un jour, il ne se lève pas. Comme un animal écrasé sur la route, il gît, à même le drap.
Le Drap a initialement paru aux Éditions de Minuit en 2003.
Yves Ravey raconte les derniers mois de son père, alors que la maladie progresse, avant de le tuer. Il a choisi le temps du présent pour ne laisser aucun espace à la nostalgie. Le présent favorise aussi la sobriété, le dépouillement. C'est sa manière d'écrire la mort de son père. Par courtes séquences successives, sans une once de lyrisme, encore moins d'apitoiement, comme si le pathos s'était fondu dans les ellipses. Les ellipses participent de la dimension éthique du livre d'Yves Ravey. Dimension remarquable.
Dans Le Drap, ni héros, ni pauvre type, ni jugement d'aucune sorte de la part du narrateur. Dans un roman familial, on avait presque oublié que c'était possible. Mais la justesse de la figure du père en dépend. Du récit, simple, naît la complexité. [...]
Yves Ravey signe là un livre d'autant plus fort que cette représentation nue de la mort, aujourd'hui, est presque taboue. On se rappelle quelques pages d'Annie Ernaux. On pense surtout à La Gueule ouverte de Maurice Pialat, où un fils accompagnait la mort de sa mère avec le même amour implicite, et la même impuissance. (Christophe Kantcheff, Politis)
Un couple au bord de la séparation s'offre un séjour en Sicile pour se réconcilier.
À quelques kilomètres de l'aéroport, sur un chemin de terre, leur voiture de location percute un objet non identifié. Le lendemain, ils décident de chercher un garage à Taormine pour réparer discrètement les dégâts.
Une très mauvaise idée.
Pour quelqu'un de ma génération, né après la Seconde Guerre mondiale et désireux de savoir comment il se serait comporté en de telles circonstances, il n'existe pas d'autre solution que de voyager dans le temps et de vivre soi-même à cette époque.
Je me propose donc ici, en reconstituant en détail l'existence qui aurait été la mienne si j'étais né trente ans plus tôt, d'examiner les choix auxquels j'aurais été confronté, les décisions que j'aurais dû prendre, les erreurs que j'aurais commises et le destin qui aurait été le mien.
Cet ouvrage a paru dans la collection Paradoxe en 2013.
Bien qu'impossible (peut-être même parce qu'impossible, tant la théorie littéraire s'est habituée à avoir réponse à tout...), l'exercice s'avère passionnant. Il conduit à lentement nous rapprocher de ce qui constitue le véritable objet de cet essai, à savoir le "point de bascule". À quel moment un individu passe-t-il d'un côté ou de l'autre de la zone grise où chacun se contente de cultiver son jardin ? (Jean-Louis Jeannelle, Le Monde)
À travers une seule image, obsédante, lancinante, celle qui capture l'instant précis où Monet entre dans son atelier, je me suis efforcé de peindre les dernières années de la vie de Monet. C'est dans ce grand atelier de Giverny où il a peint les Nymphéas qu'il se sent à l'abri des menaces du monde extérieur, la guerre qui gronde aux environs de Giverny, la vieillesse qui approche, la vue qui baisse inexorablement. C'est là, dans l'ombre de la mort, qu'il va entamer le dernier face-à-face décisif avec la peinture. C'est là, pendant ces dix années, de 1916 à 1926, que Monet va poursuivre inlassablement l'inachèvement des Nymphéas, qu'il va le polir, qu'il va le parfaire. (J.-PH. T.)
Ce texte sur l'atelier de Monet accompagnera un film d'Ange Leccia qui fera l'objet d'une exposition du 2 mars au 5 septembre 2022 au musée de l'Orangerie.
Être témoin: être sensible. En quel sens faut-il l'entendre?
Dans un procès, on ne demande au témoin que d'être précis, puisque ce sont des faits qu'il s'agit de rendre compte. Mais celui qui décide de témoigner contre vents et marées, sans que personne ne lui ait rien demandé, se tient dans une position différente: il porte aussi en lui l'exigence d'un partage de la sensibilité. Il considère implicitement que ses émotions constituent en elles-mêmes des faits d'histoire, voire des gestes politiques.
C'est ce que montre une lecture du Journal de Victor Klemperer tenu clandestinement entre 1933 et 1945 depuis la ville de Dresde où il aura subi, comme Juif, tout l'enchaînement de l'oppression nazie. Témoignage extraordinaire par sa précision, en particulier dans l'analyse qu'y mena Klemperer qui était philologue du fonctionnement totalitaire de la langue du fonctionnement totalitaire de langue. Mais aussi par sa sensibilité. Par son ouverture littéraire à la complexité des affects, avec la position éthique celle du partage que cette sensibilité supposait. Entre la langue totalitaire, qui ne se prive jamais d'en appeler aux émotions sans partage, et l'écriture de ce Journal, ce sont donc deux positions que l'on voit icis'affronter autour des faits d'affects. Combat politique lisible dans chaque repli, dans chaque inflexion de ce chef-d'oeuvre d'écriture et de témoignage.
Il ne reste presque plus rien à La Bassée : un bourg et quelques hameaux, dont celui qu'occupent Bergogne, sa femme Marion et leur fille Ida, ainsi qu'une voisine, Christine, une artiste installée ici depuis des années.
On s'active, on se prépare pour l'anniversaire de Marion, dont on va fêter les quarante ans. Mais alors que la fête se prépare, des inconnus rôdent autour de la maison.
Laurent Mauvignier livre un roman magistral. Dans le thriller façon Mauvignier, le suspense n'est pas, ou si peu, affaire d'action. C'est une histoire de langage. Si l'un des compliments que l'on adresse fréquemment aux bons polars a trait à la concision de leur style, à l'efficacité d'une langue ramassée tout entière occupée à décrire ce qui a lieu, Histoires de la nuit mérite une pluie d'éloges pour des raisons absolument inverses.
Plus la phrase s'allonge, plus l'angoisse augmente, et plus le lecteur est attentif à ses ondulations, ses changements de rythme, ses relatives et autres volutes digressives - et plus, à nouveau, le suspense s'accroît. Une seule phrase de l'écrivain peut charrier à la fois les pensées d'un personnage, ce qu'il dit (qui échoue toujours à transmettre l'essentiel), ses déplacements dans l'espace, la lumière, tant de sensations, sans oublier, parfois, une fausse piste pour égarer le lecteur. Certaines scènes, même pas particulièrement porteuses d'enjeux narratifs, sont ainsi étirées au maximum. Cette dilatation produit un effet étonnant, qui teinte d'étrangeté le réalisme du roman, lui donne les allures cauchemardesques d'un conte. Un conte qui pourrait être tiré de l'épais recueil Histoires de la nuit, dans lequel Marion pioche ce qu'elle lit à Ida au moment du coucher, même si ce n'est pas toujours de l'âge de l'enfant, qui en sort tremblante. (Raphaëlle Leyris, Le Monde)
Au château, il y a le père, vieux lion du cinéma français et gloire nationale. Il y a la jeune épouse, ancienne Miss Provence-Alpes-Côte d'Azur, entièrement dévouée à sa famille et à la paix dans le monde. Il y a les jumeaux, la demi-soeur. Quant à l'argent, il a été prudemment mis à l'abri sur des comptes offshore.
Au château, il y a aussi l'intendante, la nurse, le coach, la cuisinière, le jardinier, le chauffeur. Méfions-nous d'eux. Surtout si l'arrêt mondial du trafic aérien nous tient dangereusement éloignés de nos comptes offshore.
Comment entendre le projet d'une écologie des images ? Lorsque Susan Sontag l'ébauche pour la première fois à la fin de son ouvrage de 1977 sur la photographie, il résonne comme une exhortation à la vigilance face au débordement d'images qui menace d'engloutir notre capacité de voir. Plus récemment, derrière ce souci d'une économie de l'attention, une autre inquiétude a percé, concernant cette fois les retombées environnementales de la circulation et du stockage des images numériques.
Cet essai tente d'explorer une troisième voie : sous l'immédiateté du visible, il s'agit de laisser affleurer les temporalités dissonantes et les vitesses contrastées qui font la tension, le ton des images dans leur venue à l'apparaître. Non seulement celles qui furent faites de la main de l'homme, mais aussi toutes les autres, depuis les infinies variations mimétiques du règne animal jusqu'aux vues produites par les machines ou le divin.
Le chemin parcouru conduit de l'histoire de l'ombre (elle commence avec Pline) jusqu'à ce que Bataille aurait pu appeler une iconomie à la mesure de l'univers. En cours de route, on s'arrête sur l'iconogenèse selon Simondon, la mimétologie de Caillois, les papillons de Nabokov, le ralenti d'Epstein, une gravure de Hogarth et le développement de la photographie aérienne.